Pensée politique de l'Antiquité et du Moyen Âge

Modifié par Manuelslibresidf

Les Grecs les premiers ont déterminé comme un domaine particulier de la réflexion l’ensemble des relations entre membres d’une même communauté. Le mot de « politique » dérive de « polis » qui désigne la Cité, entendue comme forme organisée de vie collective qui s’interroge sur elle-même. Les nécessités historiques ont provoqué l’avènement d’un nouveau régime de la parole capable, par son caractère public et par la confrontation des opinions et des arguments, d’empêcher la discorde violente, de composer au mieux avec la divergence des intérêts et de produire des institutions pour maintenir la paix et l’unité de la communauté.

Du début du VIe siècle au milieu du IVe siècle avant J.-C., se produit selon des modalités diverses un type original d’organisation sociale : la polis, la cité. Les royautés féodales en conflit permanent s’étant fragilisées au point de menacer ruine, les familles ou les groupes dominants en appellent à quelques personnalités réputées pour leur sagesse afin d’établir les principes régissant les relations entre membres de la collectivité. Ces « nomothètes » ou faiseurs de lois, au premier rang desquels l’Histoire a retenu Dracon et Solon, fondent la politique sur le partage de la parole. La discussion et l’argumentation se trouve dès lors au fondement de la vie sociale. Toute décision de justice doit être explicitée ou expliquée, les citoyens étant égaux devant la loi qui doit être énoncée publiquement. Se substituent ainsi progressivement des textes clairs à des règles coutumières susceptibles d’être diversement interprétées. En quelques décennies, les Grecs instituent l’élection et le mandat à durée limitée. Mais la succession des différents types de gouvernement causée par des guerres entre cités provoque des questionnements radicaux sur le pouvoir, l’essence de la loi et de la justice, les régimes, la nature des relations sociales et la définition de la citoyenneté. Les œuvres de Thucydide, Platon, Isocrate, Xénophon, Aristote et Démosthène témoignent de l’ampleur et de la profondeur des problèmes constitutifs de la pensée politique. Platon et Aristote surtout produisent les premières philosophies politiques : le premier fera la théorie de la cité idéale, la cité organisée selon l’Idée de justice dans laquelle la condamnation de son maître Socrate serait impensable ; le second, en examinant des situations historiques précises et concevant l’homme comme un « animal politique » (c’est-à-dire ne pouvant vivre qu’en société), cherchera à établir les conditions de la vie collective la meilleure grâce à des institutions et des gouvernements modérés qui ont le bien commun pour objectif. L’idéalisme de l’un et le pragmatisme de l’autre vont en grande partie déterminer toute l’histoire de la pensée politique.

La République romaine (de la fin du Ve siècle à la fin du Ier siècle avant J.-C.) et l’Empire romain (jusqu’à la fin du Ve après J.-C.) sont deux grandes périodes complexes qui se caractérisent par la reprise des problématiques grecques (la citoyenneté, la constitution, la théorie du meilleur régime, la promotion d’un comportement humain conforme à un ordre considéré comme naturel) dans le cadre d’une réflexion juridique en plein essor et de la prépondérance des idées stoïciennes. Les grandes figures du stoïcisme romain, très proches du pouvoir (Cicéron, Sénèque) ou l’incarnant (Marc-Aurèle) conçoivent la nature comme l’expression d’un ordre naturel auquel il faut se conformer. La raison, commune à tous les hommes, doit leur permettre de dominer les passions qui les opposent et de poursuivre l’idéal de justice et le bien commun qui définissent une même civilisation. Ce cosmopolitisme va de pair avec l’expansionnisme de Rome. Mais la raison, instrument propre à traduire l’ordre cosmologique en droit positif, cherche toujours à fonder les constitutions, les modes de gouvernement et les lois sur les enseignements de l’histoire (Polybe) et de la philosophie (Cicéron). Durant la première période de l’histoire de Rome et plus encore dans la seconde, les institutions juridiques et la structure administrative qui se sont formées (consulat, Sénat, assemblées populaires) ont établi l’ensemble des droits civiques qui constituent la libertas des citoyens. Mais l’équilibre institutionnel est fragile et le « droit civil » qui règle cette libertas n’a pas d’influence dans la sphère publique : le pouvoir va se concentrer de plus en plus (titre d’auguste attribué à Octave en 27 avant J.-C.). Dès lors que l’empereur détient l’essentiel du pouvoir, la pensée politique replace la réflexion dans le registre de la morale en se polarisant sur le statut et la valeur du princeps ou du souverain.

L’Empire (de 27 avant J.-C. jusqu’à 476), période fréquemment bouleversée par les conflits liés aux successions et aux complots, mais aussi par les conséquences des guerres aux frontières, voit la réflexion politique héritée des Grecs et réaffirmée de manière pragmatique dans les institutions romaines comme progressivement suspendue au bénéfice de la pensée chrétienne. L’édit de Milan, promulgué en 313 par Constantin, accorde la liberté de culte aux Chrétiens et favorise l’expansion d’une doctrine qui non seulement sépare le politique du religieux mais encore consacre la primauté du religieux sur le politique. La christianisation de l’Empire fait perdre son autonomie à la pensée politique. La conception du temps formulée par saint Augustin dans La Cité de Dieu comme une ligne orientée et signifiante déterminera toutes les philosophies de l’Histoire et toutes les idées politiques qu’elles enveloppent. L’ouvrage, écrit entre 413 et 426, contient également la théorie des deux glaives : la pleine puissance (la plenitudo potestatis) est à Dieu ; au pape revient l’auctoritas (pouvoir spirituel), au roi, la potestas (pouvoir temporel), la seconde étant subordonnée à la première. Principal creuset de la réflexion sur le pouvoir à compter de la fin du Vème siècle, à la chute de l’Empire romain d’Occident (476), la religion, tout en énonçant la séparation du « spirituel » et du « temporel », favorise l’association et l’union des deux domaines dans les institutions. La théorie théologique de l’origine et de la nature du pouvoir, durant ce premier Moyen Âge, permet à l’Église de se consolider et progressivement (entre les IXème et XIème siècles) de se constituer en pouvoir politique. Le délitement de l’Empire, l’avènement des « royaumes barbares » (VIe – VIIIe siècle) et la prégnance de la société féodale (de la fin du IXe siècle au XIe siècle) provoque la disparition des structures politiques « gréco-romaines » et fait des papes les rivaux des rois et des empereurs. La soumission et l’opposition des tenants de la souveraineté politique à l’autorité ecclésiastique suprême représenteront l’enjeu majeur de la réflexion politique : le pape n’aura de cesse d’accroître son rôle dans le domaine temporel tandis que les rois ou les empereurs s’arrogeront le titre de représentant de Dieu dans le monde pour en légitimer le gouvernement.

Les changements sociaux qui interviennent au second Moyen Âge (à partir du XIIe siècle), principalement la naissance des villes et la constitution des universités, entraînent une révision en profondeur des conceptions qui prévalaient jusqu’alors. Émerge au sein des villes une classe dirigeante, un patriciat ou une oligarchie de plus en plus influente, qui participe à la contestation de la féodalité et suscite, du fait de la multiplication des échanges et de l’essor du commerce, l’apparition de nouvelles problématiques relatives à l’homme et à la vie sociale. Les universités deviennent les foyers de questionnements aux intérêts divergents qui favorisent la redécouverte de la pensée antique et du droit romain. Cette nouvelle discipline s’implante dans les universités où les spécialistes s’émancipent de la tutelle religieuse et servent les intérêts politiques royaux en développant un droit séculier propre à fonder leur légitimité dans l’ordre temporel. L’influence de l’aristotélisme (et des « commentaires » d’Al-Farabi, Avicenne et Averroès qui réévaluent l’histoire par rapport à la théologie et promeuvent l’expérience guidée par la raison), s’exprime dans la pensée d’Abélard (qui concilie la pensée morale antique avec les valeurs chrétiennes, la « loi naturelle » sensible au cœur s’accordant avec la « loi de Dieu » révélée) ou dans la pensée d’Hugues de Saint-Victor (qui circonscrit le registre politique, le distinguant du registre moral dans lequel il était pris). Parmi les grands théologiens qui s’affranchissent le plus de l’augustinisme, Albert le Grand (1193-1280) reconnaîtra l’existence d’un ordre naturel et affirmera la compatibilité du savoir profane et des vérités de la religion. Thomas d’Aquin (1225-1274) produira quant à lui la « théologie nouvelle » qui synthétisera les sources antiques (Aristote, les Stoïciens, le droit romain) et la pensée religieuse (la patristique et le droit canon). La société est le lieu de l’existence humaine et son accomplissement dépend d’une organisation : ainsi, la loi est-elle définie comme une « œuvre de raison ordonnée en vue du bien commun ». Le respect du droit naturel entendu comme l’ensemble des lois et des principes rationnels est la condition du gouvernement juste.

Ainsi, la société redevient-elle un objet de réflexion à part entière et la légitimité de l’organisation politique est-elle mise en question. La compatibilité de plus en plus reconnue de la pensée païenne avec les principes chrétiens, ce dont témoignait déjà le Corpus juris civilis (528-533) souhaité par l'empereur d'Orient Justinien, permet la redécouverte et la réévaluation des textes romains. Rappelons à cet égard que le Décret de Gratien qui intègre le droit romain, au milieu du XIIe siècle, a été l’une des sources du Tractatus de legibus de Thomas d’Aquin. Même si la loi humaine reste subordonnée à la loi naturelle et celle-ci à la loi éternelle et divine, le droit savant établit à compter du XIIème siècle un lien de plus en plus fort entre le roi et la loi, en faisant de plus en plus abstraction du registre religieux. Cette renaissance de la pensée juridique s’explique principalement par la volonté des pouvoirs princiers (du Saint-Empire romain germanique, d’Angleterre et de France) d’assurer leur légitimité face aux papes et de consolider leur autorité sur les seigneurs féodaux. La sécularisation promue par cet essor cristallise deux idées qui vont structurer la réflexion politique : la souveraineté est consentie par le peuple au prince et le respect du droit naturel (entendu comme les lois forgées par la raison selon les valeurs du juste et du bien) est censé garantir de l’arbitraire la communauté sur laquelle s’exerce le pouvoir. Thomas d’Aquin, en faisant du respect de la loi naturelle la condition du bon gouvernement, a conçu la limitation de toute autorité temporelle et justifié la résistance au tyran, qui a confisqué le pouvoir à son profit. L’obéissance est due au prince tant qu’il demeure « le gardien de la justice ». Jean de Salisbury (vers 1115-1180), secrétaire de Thomas Becket, avait déjà cherché à définir les conditions du régime susceptible de ne pas dégénérer en tyrannie interprétée comme une transgression de la loi divine.

Les œuvres de Marsile de Padoue (128?-1343) et de Guillaume d’Ockham (1290-1347) vont marquer une étape décisive dans l’histoire des idées politiques en affranchissant complètement du cadre religieux la conception de la justice et de l’autorité. Selon Marsile de Padoue (qui sera excommunié), le pouvoir du prince est indépendant de l’Église ; c’est au peuple, la source de sa légitimité, qu’il doit l’autorité dont il est titulaire ; c’est le peuple encore qui, par ses représentants, le contrôle et le soumet à la justice séculière. Guillaume d’Ockham également considère que l’autorité légitime vient du consentement populaire et que les gouvernements ne peuvent exprimer un ordre éternel, le monde étant le domaine de la contingence et de l’histoire, mais doivent établir les lois qui conviennent par l’exercice de la raison. Le nominalisme, dont il est l’un des plus éminents promoteurs, s’affirme comme une pensée empiriste et relativiste, qui définit le bon gouvernement comme celui qui poursuit, dans le cadre du droit positif, les fins morales du plus grand nombre.

La sécularisation de la réflexion politique, assurée par des laïcs de plus en plus nombreux et de mieux en mieux formés, gagne l’Europe entière : à la fin du Moyen Âge, l’organisation de la vie collective est devenue l’affaire des hommes qui, par nature, vivent en société et sont capables d’établir par l’usage libre de la raison les lois qui règlent leurs relations. C’est l’époque durant laquelle les autorités séculières unifient les territoires et concentrent les pouvoirs. Du fait de ses appareils administratifs et judiciaires, les monarchies ainsi progressivement instituées sont considérées comme stables et offrent des préfigurations de l’État moderne.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/philosophie-terminale-pro ou directement le fichier ZIP
Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0